Pauline Gauffier, L’Oiseau volé

La maison de vente Christie’s a présenté à New York, lors de sa vacation dédiée à la peinture ancienne du 14 octobre 2021, un tableau donné à Louis Gauffier, L’Oiseau volé . Si cette scène de genre exécutée d’un pinceau délicat et précieux et illustrant un drame domestique dans une composition en bas-relief évoque bien la peinture de genre autour de 1800, le véritable auteur du tableau s’avère être Pauline Gauffier, née Châtillon, épouse de Louis et elle-même peintre. Cette œuvre a pu être acquise par la fondation d’entreprise, et offerte au musée Fabre.

La scène se déroule dans un intérieur rustique : un chat, en haut à gauche, vient de dérober un oiseau dans sa cage. Tandis que l’animal s’apprête à fuir par la fenêtre, la mère de famille cherche à punir le chat en brandissant de manière menaçante une quenouille. Une petite fille accroupie, à côté de la cage, observe avec surprise et effroi le chapardeur. Les allusions morales ne sont sans doute pas absentes de ce sujet : évoquant peut-être le passage de l’enfance à l’adolescence, l’oiseau arraché de sa cage par un chat est à rapprocher des figures de jeunes filles pleurant des oiseaux morts peinte par Jean-Baptiste Greuze plus tôt dans le XVIII e siècle. Ici, la scène se situe en Italie, comme l’indiquent les costumes pittoresques des figures, de même que le dallage de briques au sol, les arcades murées au fond de la pièce ou encore la vigne que l’on devine à la fenêtre. L’intérieur, très simple, comme une sorte de boite digne des tableaux davidiens, est propice à l’étude attentive des ombres et des lumières qui valorisent les figures ainsi que les objets. Les trois arcades de briques au mur apportent du rythme à la composition et suggèrent une sévérité à l’antique. Les figures sont de profil et se déploient comme sur un bas-relief. La construction narrative de la scène est simple et parfaitement lisible, digne d’un tableau néoclassique. Cependant, pour agrémenter cette image, la peintre multiplie les détails précieux et plaisants, peints avec une précision de miniaturiste : navets et fruits posés sur la table, bouquets de fleurs, rubans, châle et costumes colorés aux plis savamment étudiés et fouillés, cage ornée de branchages. Le tableau trouve son originalité dans cette synthèse étonnante entre une composition à l’antique, une exécution évoquant la peinture précieuse des Pays-Bas et une dramaturgie tendre, intime, presque humoristique, évoquant le goût français pour la scène de genre.

La maison de vente donnait ce tableau à Louis Gauffier, en affirmant notamment que la toile serait signée du nom et du prénom de l’artiste. Cependant, si un examen sur photographie permet de clairement lire le nom de famille, le prénom est effacé ou du moins endommagé. De plus, Louis Gauffier signe généralement en indiquant son initiale avant son nom, sans inscrire son prénom complet, sous la forme «  L. Gauffier  ». Au contraire, deux peintures connues de Pauline Gauffier, L’Horoscope tiré et L’Horoscope réalisé du musée Magnin de Dijon, indiquent clairement le prénom « Pauline » en toutes lettres. Nous croyons d’ailleurs reconnaitre, dans la signature de L’Oiseau volé , un « P » presqu’entièrement effacé. Ajoutons à ces remarques sur la signature la prédilection de Pauline pour les scènes de genre mettant en scène des personnages en costumes pittoresques italiens.

Les informations sont malheureusement rares au sujet de Pauline Châtillon, épouse de Gauffier. La jeune femme, née en 1772, appartient sans doute à une famille française installée à Rome et attachée au cardinal de Bernis, gravitant autour du Palais Mancini, siège de l’Académie de France à Rome. Les Stati d’anime situent cette famille dans la paroisse de Santa Maria in Via Lata. Elle reçoit des leçons de dessin de Gauffier et de son camarade Jean Germain Drouais. Après un bref séjour parisien en 1790 pour recevoir son agrément à l’Académie royale, Gauffier regagne Rome et épouse Pauline en mars. Deux enfants naissent de cette union, Louis en 1791 et Faustine en 1792. La famille se réfugie à Florence à la suite des émeutes anti-françaises de janvier 1793. Dès lors, Pauline Gauffier se consacre à la scène de genre mettant en scène des personnages en costume italiens. Ce goût révèle une influence directe de l’art des frères Sablet, proches de la famille Gauffier, sur Pauline, influence qui se lit également de manière très évidente dans les portraits exécutés par Louis. De santé fragile, Pauline Gauffier décède vers juillet 1801, suivie trois mois plus tard par son époux, mort à Florence, le 20 octobre 1801.

La représentation de la vie et des mœurs des Italiens connaitra un immense succès dans la peinture française et internationale au XIX e siècle. Cependant, on en trouve les premières amorces dès la fin du XVIII e siècle, dans ce petit milieu francophone établi à Rome puis à Florence, autour des frères Sablet et de Pauline Gauffier. Dès 1798, Pauline Gauffier envoyait ainsi au Salon à Paris « Deux tableaux, sujets champêtres, représentant des paysannes des environs de Terracine ». Il faudra attendre 1810 pour que Hortense Haudebourt-Lescot expose au Salon ses premières compositions aux sujets comparables , qu’elle contribuera largement à diffuser dans le goût de son temps...

Louis Gauffier est un peintre important pour les collections du musée de Montpellier. François-Xavier Fabre, son ami, acquit sans doute directement auprès de l’artiste des portraits, des paysages composés et des études sur le motif ainsi qu’un grand nombre de dessins préparatoire pour des tableaux d’histoire. Il donna puis légua ces œuvres à la Ville de Montpellier, en 1825 puis 1837. D’autres toiles ont par la suite rejoint cet ensemble primitif, notamment une suite de onze répliques en miniature de portraits de Gauffier, léguée par Alfred Bruyas en 1876, un Portrait de Lady Holland acquis par le musée en 1962 auprès d’Élisabeth Borde, descendante du peintre Joseph Marie Vien, ainsi que, plus récemment, deux paysages, une Vue de l’abbaye de Vallombrosa , achetée en vente publique en 2008 et d’autre part une Vue sur la vallée de l’Arno à Florence , acquise auprès de la galerie J.F. Heim en 2016. Cet intérêt pour Gauffier aboutira à l’été 2022 à la première exposition monographique consacrée à ce peintre, organisée au musée Fabre. L’acquisition du tableau de la vente Christie’s est une très belle opportunité d’évoquer dans l’exposition comme dans les collections l’art de son épouse Pauline Gauffier, dont on ne recense aujourd’hui que cinq tableaux connus. De plus, ce don est également une belle occasion de poursuivre l’enrichissement des collections du musée en direction des peintres femmes autour de 1800. L’Oiseau volé vient également enrichir le thème du voyage des peintres en Italie, aspect majeur des collections. Le milieu international des artistes installés à Rome comme à Florence est une des grandes singularités de la collection montpelliéraine, qui serait ainsi enrichie d’une œuvre originale, proposant une synthèse plaisante entre la scène de genre et la composition néoclassique.

Pierre Stépanoff

Pauline Gauffier (Rome ?, 1772 – Florence, 1801)
L’Oiseau volé
Vers 1790-1800
Huile sur toile
H. 62 ; l. 84,5 cm
2021.37.1

Historique : New York, galerie Victor D. Spark (1898-1991), 1948 ; Palm Beach, collection particulière ; collection particulière ; New York, vente Christie’s, 14 octobre 2021, n° 97, acheté par la Fondation d’entreprise du musée Fabre ; don de la Fondation d’entreprise au musée Fabre, 2021.