Jean Tassel, La Diseuse de bonne aventure

Fils du peintre Richard Tassel (v. 1582-1660), Jean accomplit son apprentissage dans l’atelier familial à Langres. Lors de son séjour à Rome, entre 1634 et les alentours de 1645-47, il est marqué par les peintres caravagesques et entre en contact avec le milieu des peintres de  « bambochades », nom donné aux tableaux ayant pour sujet des scènes de la vie quotidienne et populaire.

Parmi les scènes de genre, le thème de la Diseuse de bonne aventure connaît une incontestable faveur au début du XVIIe siècle, tant à Rome qu’en France, à la suite du tableau de Caravage, La Diseuse de bonne aventure , daté de 1594-1595, (musée du Louvre). Exécutée sur ce même thème iconographique, l’œuvre de Jean Tassel, datée de son retour en France, vers 1645-50, témoigne de l’influence du maître italien et confirme ses dons de coloriste et de luministe. Si Tassel ne put rencontrer à Rome Caravage, mort en 1610, il put voir ses œuvres et celles de ses disciples, notamment Bartolomeo Manfredi (1582-1622) qui diffuse la manière de Caravage et séduit de nombreux peintres étrangers.

L’emploi du clair-obscur, l’absence de décor, le cadrage serré, réduisant la composition aux personnages vus à mi-corps, sont des réminiscences du caravagisme. Les trois protagonistes principaux de la scène, aux visages poupins et rustiques, sont liés par un subtil jeu de mains qui rappelle La Diseuse de bonne aventure peinte par Simon Vouet vers 1620 (Musée des Beaux-arts du Canada, Ottawa). Une courtisane, vêtue d’un corsage bleu vif et d’une écharpe mordorée, occupe le centre de la composition. Elle pose sa main droite sur l’épaule du jeune homme comme pour tenter de l’entraîner. Ce dernier, coiffé d’un large feutre orné d’une plume rose, habillé d’une culotte vert olive et d’un pourpoint jaune ocre, à demi déboutonné, laissant voir la chemise bouffante, tend sa main vers la Bohémienne. Enveloppée dans un manteau sombre, à peine distinct de la pénombre qui envahit la partie droite de la composition, la Bohémienne est éclairée par un rai de lumière venu de la gauche, laissant voir son visage et ses mains bistrés. Son comparse, placé derrière le jeune élégant, est dissimilé sous un immense chapeau et cape noirs. Tandis qu’au premier plan, un enfant dépouille, de sa main droite, le jeune naïf.

Thème de prédilection du caravagisme, la Diseuse de bonne aventure comporte un message moral, diversement interprété: le jeune homme ne doit pas céder à la curiosité de connaître son propre destin, preuve de vanité – l’Église condamnait la chiromancie, contraire à la volonté divine –, la réactualisation de la parabole du Fils Prodigue, ou encore la méfiance de la femme et de ses promesses. En outre, l’iconographie des bohémiens a suscité une véritable fascination chez les artistes dès la fin du XVe siècle. La toile de Tassel est un exemple tardif dans la série sur ce thème profane inauguré par Caravage, continué par Manfredi, puis par les Français Valentin , Simon Vouet et Georges de La Tour .

Ce tableau est l’une des plus belles scènes de genre d’un des peintres caravagesques français. Au musée Fabre, il fait écho à l’important fonds caravagesque italien et constitue un enrichissement notable pour le fonds français qui réunit Poussin, Dughet et en particulier Sébastien Bourdon influencé un temps lui aussi par les Bambochades. Exemplaire du style entre France et Italie de Jean Tassel, La Diseuse de bonne aventure est une œuvre majeure pour la connaissance de l’artiste, connu également pour sa production de tableaux religieux et mythologiques qui s'échelonne tout au long de sa carrière entre Langres et Dijon.

  • En savoir plus :

Henri Ronot, Richard et Jean Tassel : peintres à Langres au XVIIe siè cle, Paris, Nouvelles Éditions Latines, 1990

Jean-Pierre Cuzin, La "Diseuse de bonne aventure" de Caravage , Paris, Éditions des Musées nationaux, 1977

Catalogue de l’exposition Corps et ombres :Caravage et le caravagisme européen , Montpellier, Musée Fabre, Toulouse, Musée des Augustins, du 23 juin au 14 octobre 2012, Michel Hilaire, Axel Hémery, Corps et ombres : Caravage et le caravagisme en Europe , Milan, 5 continents éditions, 2012 

Jean Tassel (Langres 1608- 1667)
La Diseuse de bonne aventure
Vers 1645-50
Huile sur toile
H. 99 cm ; L.137 cm

Historique : Paris, Hôtel George V, vente le 18 juin 1974, n° 5 (comme école de Michelangelo Cerquozzi) ; Paris, Collection Heim ; Paris, Hôtel Drouot, vente le 1er avril 1987, n° 20 ; Paris, Hôtel Drouot, vente le 25 avril 1994, n° 151 ; Paris, Sotheby, vente le 19 juin 2006, n° 10 ; Paris, Drouot Richelieu, vente le 28 novembre 2014, n° 16, achat de la Communauté d’Agglomération de Montpellier, 2014.