Jules-Louis-Philippe Coignet, Un Site de Calabre

Le musée Fabre a eu l’opportunité d’acquérir en 2017 une peinture de Jules Coignet (Paris, 1798 – Paris, 1860), Un Site de Calabre , signée et exposé au Salon de 1827. Cette peinture de dimensions considérables (188 x 260 cm) est une belle opportunité d’acquisition pour le musée, dont la peinture de paysages, du néoclassicisme au romantisme et jusqu’au réalisme et à l’impressionnisme est un des points forts. Cette vaste composition se distingue par un goût prononcé pour l’Italie, la beauté de sa lumière, le pittoresque de ses reliefs et les valeurs chaudes de ses couleurs. Elle trouve ainsi toute sa place dans le parcours de visite du musée Fabre, profondément marqué par la fascination des artistes pour la péninsule.

Jules-Louis-Philipe Coignet chercha toute sa vie un équilibre dans son art entre la tradition et la modernité. Selon son biographe Léon Chardin, il incarne « une étape de transition entre la majesté du paysage historique et la naïve reproduction à laquelle se rattache l’école actuelle », c’est-à-dire l’impressionnisme. Pour Coignet, formé dans les années 1818-1820 auprès de Jean-Victor Bertin, la peinture de paysage ne se conçoit pas sans une recomposition idéalisée du site. L'artiste s'imprègne, par la peinture sur le motif, des sites naturels qu'il explore et, le temps d'une éclaircie ou du passage d'un nuage, esquisse rapidement le spectacle de la nature dans ses huiles sur papier. Ses peintures de vastes dimensions sont ensuite composées dans l'atelier à partir de ses esquisses, véritables notes de travail. Pour résumer cette démarche, son biographe ajoute qu’il « ne se croyait pas le droit de peindre ce qu’il n’avait pas bien vu et étudié. » Elle est en tout point fidèle aux principes que Pierre-Henri de Valenciennes (1750-1819) avait posés dès 1799 dans ses  Éléments de perspective pratique à l’usage des artistes , suivis des Réflexions et Conseils à un Élève sur la Peinture et particulièrement sur le genre du Paysage . Elle rapproche Coignet de ses contemporains Charles Rémond, André Giroux, Jacques-Raymond Brascassat ou encore Édouard Bertin. La qualité de son travail a pu être découverte lors de l’exposition Paysage d’Italie, les peintres du plein air (1780 -1830) en 2001 au Grand Palais à Paris.

Si Coignet se présente en 1821 au Grand Prix du paysage historique, sans succès, il assume ensuite sa rupture avec les sujets historiques : ses peintures s'animent au contraire de personnages et de figures contemporaines, offrant ainsi à ses compositions un caractère éminemment narratif et pittoresque, ce qui le rapproche de la conception romantique du paysage. Il expose au Salon de 1824 à 1850. Grand voyageur, Coignet part à la découverte de l'Italie dans les années 1820. Il publie en 1825 des Vues pittoresques de l’Italie dessinée d’après nature, tandis que deux de ses dessins attestent de sa présence à Naples ainsi qu'à Tivoli en 1826. En 1845 il publie une Italie pittoresque , puis en 1858 Bade et ses environs dessinés d’après nature . Il effectue également des voyages en Auvergne, Normandie, Bretagne, Aveyron, dans les Alpes, le Tyrol, les Vosges, en Allemagne, mais aussi en Égypte, en Syrie et en Asie Mineure (de 1844 à 1846). Sa production est saluée de façon précoce, par une médaille d'or dès 1824. Il est fait chevalier de la Légion d'Honneur en 1836.

Notre tableau déploie un vaste paysage italien savamment construit. A gauche le soleil brille encore au-dessus d'un ravin, tandis qu'une grande échappée s'ouvre à droite, fermée par une montagne majestueuse construite dans un esprit très classique, au-dessus de laquelle des nuages annonçant un orage s'amoncèlent. Sur un mode encore une fois classique, un grand arbre divise la composition en deux parties. Un palmier ainsi que des agaves évoquent une végétation plus méridionale. Un chemin escarpé produit un heureux effet de profondeur et invite le spectateur à pénétrer la composition.  Sur ce chemin, une famille de paysans en costume pittoresque fait halte, alors que le père de famille est tombé dans un ravin. Ce mélange de narration dramatique, de curiosité pour le folklore et de représentation majestueuse de la nature définit parfaitement le goût pour le voyage et le paysage à l'époque romantique.

Le cœur de la collection de peinture du XIX e siècle du musée Fabre est du à Alfred Bruyas, collectionneur et généreux donateur. Les grands tableaux de Salon du XIX e siècle y sont donc plus rares ( Ève tentée par le serpent par Delorme, Salon de 1834 ; Vue prise dans les Apennins sur le sommet du Mont Lavernia par Édouard Bertin, Salon de 1836 ; La Mort de Charles IX par Monvoisin, Salon de 1835 ; La Mort d’Abel, paysage historique par Rémond, Salon de 1838 ; Le Sang de Vénus , par Glaize, Salon de 1846). L’acquisition de cette peinture de Jules Coignet est ainsi une très belle opportunité de présenter au visiteur un nouveau grand tableau de la première moitié du XIX e siècle. De plus, cette toile, mêlant néoclassicisme dans sa méthode et romantisme dans son esprit, dialogue parfaitement avec certains tableaux du musée Fabre, en particulier avec La Mort d’Abel de Rémond, peintre contemporain de Coignet et proche de lui. Le goût de l’Italie est également un des points forts du musée, et ce Site de Calabre offre un effet de dialogue particulièrement stimulant avec la Vue prise dans les Apennins sur le sommet du Mont Lavernia peinte par Édouard Bertin, proposant cette même vision à la fois pittoresque et grandiose de la nature et des sites italiens. Ajoutons que ce tableau de Coignet fut présenté au mythique Salon de 1827, le musée Fabre conservant un bon nombre d’esquisses de certaines des œuvres les plus célèbres qui y furent exposées : La Mort de César et La Mort d’Hippolyte de Court, le Mazeppa de Boulanger ou encore La Naissance d’Henri IV d’Eugène Devéria.

Pierre Stépanoff



En savoir plus

Catalogue de l’exposition De la Nature , Montpellier, musée Fabre, 18 juillet 1996 - 10 novembre 1996, Paris, Éditions de la RMN, 1996, Michel Hilaire, Olivier Zeder (dir.).

Ouvrage disponible à la bibliothèque du musée Fabre.

Exposition De la Nature , Montpellier, musée Fabre, 18 juillet 1996 - 10 novembre 1996.

Jules-Louis-Philippe Coignet (Paris, 1798 – Paris, 1860)
Un Site de Calabre
1827
Huile sur toile
H. 188 ; L. 260 cm

Signé en bas à droite : « J. Coignet »

2017.13.1

Hist. : Paris, Salon de 1827, n° 214 ; Paris, vente Sotheby’s, 27 juin 2013, n° 104, non vendu ; Génicourt, (Val d’Oise), vente Aponem, 22 juin 2015, n° 44, non vendu ; Paris, vente Drouot L’Huillier & Associés, 19 mai 2017, n° 127, préempté par l’Etat au bénéfice du musée Fabre ; acquis de cette vente par Montpellier Méditerranée Métropole pour le musée Fabre.