Eugène Delacroix, Vue de la plage et des falaises d'Etretat

Delacroix découvrit les beautés de la côte normande grâce à ses nombreux passages chez son cousin Bataille à Valmont, près de Fécamp. "Séjour de paix et d'oubli du monde entier", cette retraite offrait à l'artiste un lieu idéal pour se reposer de Paris et élaborer ses grandes commandes officielles. Au cours de cette villégiature, il eut à maintes occasions l’opportunité d'admirer le paysage des falaises d'Etretat ; sans doute séduit par cette âpre et grandiose architecture de craie, il devait en donner plusieurs études et aquarelles.
Cette vue prise de la porte d'Amont, à marée basse, ne peut être datée avec certitude mais un passage du Journal de l’artiste du 18 octobre 1849 relate une excursion en mer au large de Fécamp et situe, si ce n'est la chronologie de cette oeuvre, du moins l'état d'esprit et les sentiments de l'artiste devant ce paysage : « Le sol sous cette arche étonnante, semblait sillonné par les roues des chars et semblait les ruines d'une ville antique. Ce sol est ce blanc calcaire dont les falaises sont entièrement faites. Il y a des parties sur les rocs qui sont d'un brun de terre d'ombre, des parties très vertes et quelques-unes ocreuses. » Explorant la décomposition chromatique du paysage, Delacroix donne ici une aquarelle où palpite la densité de l’air et de l’eau et, avec cette manière très libre d’un dessin pris sur le vif, il témoigne de sa sensibilité pour ces vues de la nature qui annoncent déjà la peinture impressionniste.

Ami de l’artiste, le critique Théophile Sylvestre conseilla en 1874 à Alfred Bruyas l’acquisition de cette oeuvre qui lui inspira ces réflexions : « Dans le ciel solitaire, d’une pureté absolue et d’une légèreté sans fonds, on entendrait non seulement l’aile d’une mouette mais le bourdonnement d’un insecte [...]. L’effusion lumineuse n’a même pas de soubresauts tout le long de cette falaise abrupte, dont la croûte terrestre et le gazon rôti semblent à la fois un chaume de cabane et une peau de bête fauve. »

Ferdinand Victor Eugène Delacroix (Charenton-Saint-Maurice, 1798 – Paris, 1863)
Vue de la plage et des falaises d'Etretat
19e siècle
Aquarelle, sur traits à la mine de plomb
H. 15 ; L. 19 cm

Cachet b.d.: E.D ( Lugt, 838a )

Inv. 876.3.102

Hist.: Atelier Delacroix; vente, Paris, 22-27 février 1864, partie du n° 595; Robaut; Dutilleux; vente, Paris, 26 mars 1874, n° 18, repr.; collection A. Bruyas; legs Bruyas, 1876.