Jean Louis Journet, Diogène cherchant un homme et Bélisaire demandant l’aumône

La Fondation d’entreprise a offert en 2017 deux bas-reliefs sculptés par Jean Journet : Diogène cherchant l’homme et Bélisaire demandant l’aumône , le premier signé et daté de 1782. La carrière de cet artiste, à la fois internationale mais également liée à Montpellier, est aujourd’hui encore méconnue, bien qu’il soit l’auteur de la célèbre sculpture de marbre Montpellier distribuant les eaux à ses habitants sous les traits de Cybèle , aujourd’hui place Chabaneau.

Comme l’a découvert Fabrice Bertrand en 2020, Jean Louis Journet est né à Sumène en 1720. Il se rend à Paris, puis vers 1755, à Copenhague où il collabore avec le sculpteur Jacques Sally (1717-1776) au Monument équestre de Frédéric V   à une époque où les séjours d’artistes français dans les cours du nord de l’Europe se multiplient. Engagé en 1742 pour ce projet, Sally arrive à Copenhague en 1753, et y travaille pendant quinze ans, jusqu’à la fonte qui a lieu en 1768. Ce séjour voit également la naissance de l’Académie royale danoise de peinture, sculpture et architecture, dont Sally est nommé premier directeur et Jean Louis Journet professeur ainsi que sculpteur du roi.

En 1773, Journet est de retour en Languedoc et s’installe à Montpellier, à une époque où s’y multiplient d’importantes commandes de sculpture publique. Le grand aqueduc acheminant l’eau jusqu’à la ville par le Peyrou permettait l’aménagement de nouvelles fontaines à Montpellier. Tandis qu’Etienne d’Antoine réalise la fontaine des Trois Grâces et la fontaine des Licornes, Journet reçoit la commande d’une troisième fontaine pour la place de l’Intendance. Celle-ci, inaugurée en novembre 1776, représente Montpellier sous les traits de Cybèle, distribuant les eaux aux habitants. Elle se trouve désormais place Chabaneau. Ces commandes sont contemporaines de la fondation, en 1779, d’une Société des beaux-arts à Montpellier. Encouragés par le marchand d’art Abraham Fontanel, un groupe d’aristocrates, de bourgeois et d’ecclésiastiques du Languedoc décident de fonder une Société dont l’objectif sera d’encourager les arts dans la capitale des Etats du Languedoc. Une école gratuite de dessin, où Journet officie comme professeur, voit également le jour : le jeune François-Xavier Fabre y reçoit ainsi ses premières leçons.

En 1746, alors qu’il réside encore en Italie pendant ses années de formation à l’Académie de France à Rome, Sally invente la composition de notre Diogène , dont il expose en 1750 une version en terre cuite au Salon du Louvre, puis à deux reprises au Salon de l’Académie de Copenhague. A sa mort en 1776, il laisse inachevée une version en marbre (Valenciennes, musée des beaux-arts), qui sera terminée par Augustin Pajou (1730-1809) en 1779. Pajou exécute à son tour une nouvelle version en terre cuite du Diogène , en 1781 (Paris, Musée du Louvre). Journet reprend également cette composition dans notre marbre de 1782, dont il avait déjà exposé une autre version au tout premier Salon de la Société des beaux-arts de Montpellier, en 1779.

Le second relief, représentant Bélisaire, est sans doute une invention de Journet afin de créer un pendant au Diogène . A l’origine, Sally avait présenté son Diogène associé à un relief figurant le philosophe Antisthène, le maître du philosophe cynique. Pajou, au contraire, avait inventé une Nymphe portant des couronnes (localisation actuelle inconnue), pour accompagner sa propre version. Ainsi, là où Pajou se plaît à confronter, par un jeu de contraste, la figure âgée d’un vieillard à celle gracieuse, d’une nymphe, Journet préfère réunir le philosophe cynique avec Bélisaire, le général antique vertueux, composant ainsi, avec une très grande justesse, une paire de bas-relief dont les deux compositions sont pourtant distantes de plus trente ans ! La figure de Diogène était particulièrement appréciée au XVIII e siècle : Jean-Jacques Rousseau se réclame de son exemple et de sa noble indifférence aux usages de la société de son temps. Quant à Bélisaire, général romain injustement disgracié par l’empereur Justinien jaloux de ses succès, mais humble et vertueux jusque dans le dénuement le plus total, son histoire rencontre la faveur des artistes après la publication du roman philosophique de Marmontel Bélisaire en 1767 : Peyron (1779, Toulouse, musée des Augustins), David (1781, Lille, Palais des beaux-arts) et bien sûr Vincent (1776, Montpellier, Musée Fabre), de même que Journet, tous furent sensibles à l’image édifiante du vieux général aveugle réduit à la mendicité. La tête en haut-relief du Bélisaire est très expressive et a dû être savamment étudiée par Journet : on sait d’ailleurs qu’une Tête de Bélisaire en terre cuite de sa main fut présentée au Salon de Montpellier en 1860. L’art du bas-relief, le goût de la frise, l’élégance linaire des drapés et le choix de deux personnages antiques sont autant d’éléments qui attestent de la sensibilité néoclassique de Journet, dont ces deux œuvres sont les premières à rejoindre le musée Fabre.

Pierre Stépanoff



En savoir plus

Catalogue de l’exposition Le Musée avant le Musée, la Société des beaux-arts de Montpellier (1779-1787) , Montpellier, musée Fabre, 9 décembre 2017 - 11 mars 2018, Gand, Snoeck, 2017, Michel Hilaire, Pierre Stépanoff (dir.).

Ouvrage disponible à la bibliothèque du musée Fabre

Jean Louis Journet (Sumène, 1720 – Montpellier, 1789)
Diogène cherchant un homme/Bélisaire demandant l’aumône
1782
Marbre
H. 56,5 ; L. 35,8 cm

Signé et daté en bas à gauche du Diogène  : J.Journet.1782

2017.2.1/2017.2.2

Hist. : Paris, peut-être dans la collection du banquier Rampin, première moitié du XIX e siècle ; Paris, vente Drouot, 28 novembre 2016, n° 151, non vendu ; Paris, Galerie Aveline – Christophe de Quénetain ; acquis de cette galerie par la Fondation d’entreprise du musée Fabre , 2017 ; don de la Fondation d’entreprises au musée Fabre, 2017.