Eustache Le Sueur, Saint Paul guérissant les malades et délivrant un possédé

La Fondation d’entreprise a acquis pour le musée une peinture d'Eustache Le Sueur, Saint Paul guérissant les malades et délivrant un possédé . Ce tableau très important dans la carrière de l'artiste, est un enrichissement considérable pour les collections de peinture française du musée Fabre, où Eustache Le Sueur, artiste fondamental du XVII e siècle, n'était jusqu’alors pas représenté. La composition, construite avec rigueur et fondée sur l'éloquence des gestes, est une étape importante dans l'émancipation du peintre de l'influence de son maître Simon Vouet, et sa recherche toujours plus prononcée d'un classicisme que Jacques Thuillier qualifiera d' « atticisme ».

Comme le relèvent les différents commentateurs du tableau, l'épisode représenté ne correspond pas strictement à un véritable épisode de la vie de saint Paul telle qu'on la connaît dans les Actes des apôtres . Dans cette composition, le saint semble accomplir, d'un geste, une multitude de miracles : la libération d'un possédé, mais également la guérison d'un aveugle à droite ou encore la résurrection d'un nourrisson présenté par sa mère, à gauche du possédé. Cette action s'accomplit sous le regard d'un magistrat romain installé sur son podium, peut-être l’empereur Néron lui-même. Dans ce tableau qui ne cherche pas à plaire, tout concourt à exprimer l'éloquence des gestes comme du verbe de l'apôtre. Le Sueur semble avoir cherché à réaliser une synthèse des différents cartons des Actes des apôtres consacrés à la vie de saint Paul exécutés plus de cent ans plus tôt par Raphaël pour le décor de la chapelle Sixtine. Ainsi le geste ample de saint Paul, de même que la réponse de l'aveugle à droite sont des citations de Saint Paul prêchant à Athènes de Raphaël, tandis que la composition générale de la scène, avec le magistrat, évoque particulièrement La Conversion du proconsul ( les deux cartons conservés à Londres, Victoria and Albert Museum ). Ce choix de se poser sous le patronage de Raphaël, considéré au XVII e siècle comme l'artiste classique par excellence, a valeur de manifeste de la part de Le Sueur : manifeste de son émancipation à l'égard des leçons de son maître Simon Vouet, dont le style peut être qualifié de plus « baroque », et manifeste d'une nouvelle définition de son propre itinéraire artistique, vers un art plus sobre, plus éloquent et plus intelligible.

Le contexte de production du tableau explique largement ces choix. Le Sueur quitte en effet l'atelier de Vouet vers 1641, et c'est pour devenir lui-même maître-peintre de la corporation parisienne qu'il réalise ce tableau, morceau de réception et signe de son autonomie artistique. En 1645, lors du baptême de son premier fils, il signe comme « peintre », puis comme « maître peintre » en 1646 lors du baptême de son second fils. On peut donc logiquement dater ce tableau entre ces deux bornes, fin 1645-début 1646. En 1648, deux ans plus tard, Le Sueur fera partie des fondateurs de l'Académie royale de peinture et de sculpture, nouveau jalon dans l'évolution de sa courte carrière. Le tableau restera quant à lui la propriété de l'Académie de Saint-Luc jusqu'en 1776, date de sa dissolution, avant de rejoindre, au début du XIX e siècle, la prestigieuse collection de Lucien Bonaparte, frère de Napoléon I er .

Le musée Fabre s'efforce depuis plusieurs années de consolider son fonds de peinture française de la première moitié du XVII e siècle, originellement composé de peintures de Sébastien Bourdon, de Simon Vouet, de Laurent de la Hyre et de Nicolas Poussin. Ces dernières années, le musée a pu faire l'acquisition d'un Paysage au bon Samaritain de Gaspard Dughet (1995), d'une Sainte Famille de Jacques Stella (2001), d'une Madeleine en extase de Jacques Blanchard (2005), ou d'une Diseuse de bonne aventure de Jean Tassel (2014). Cette politique d'acquisition se poursuit avec le don de ce tableau de Le Sueur par la Fondation d’entreprise, dont le musée Fabre possède d'autre part un bel ensemble d'une dizaine de dessins, pour la plupart légués par François-Xavier Fabre en 1837.

Pierre Stépanoff



En savoir plus

Alain Mérot, Eustache Le Sueur, 1616-1655 , Paris, 2000, p. 181-83, cat. n°34, reproduit fig. 45.

Ouvrage disponible à la bibliothèque du musée Fabre.

Eustache Le Sueur (Paris, 1616 – id., 1655)
Saint Paul guérissant les malades et délivrant un possédé
1645-1646
Huile sur toile
H. 175 ; L. 137,5 cm
2018.25.1

Hist. : Paris, peint par l’artiste comme morceau de réception à l'Académie de Saint-Luc à l’hiver 1645-1646 ; Paris, collection de l'Académie de Saint-Luc, jusqu'à sa dissolution en 1776 ; Paris, vente Billard de Bélisard, architecte du Prince de Condé, hôtel de Bullion, 15 mars 1785, n° 67 (« saint Pierre qui guérit l'aveugle né... ») ; Saisie révolutionnaire, 14 juin 1797, déposé au Museum central des Arts ; Rome, collection Lucien Bonaparte en 1804 (« épisode de la vie de Saint-Paul ») ; Londres, vente Lucien Bonaparte, 14-16 mai 1816, n° 152 (« The Miracle of St. Paul ») ; Suède, collection particulière ; Londres, Dover Street Gallery, 1994 ; Londres, galerie Algranti, après 1994 ; Londres, galerie Colnaghi, 1997 ; collection particulière ; Cambridge, déposé au Fogg Art Museum de 1998 à 2005 ; New York, vente Christie's, 28 janvier 2009, n° 47, non vendu ; Londres, vente Sotheby's, 9 décembre 2009, n° 37, non vendu ; Marseille, collection particulière ; Paris, Hôtel Drouot, vente Leclere, 9 novembre 2018, n° 41, non vendu ; acheté de grès à grès à la suite de la vente par la Fondation d’entreprise du musée Fabre  ; don de la Fondation d’entreprise au musée Fabre, 2018.