Dépôt exceptionnel de deux œuvres inédites de Jean Honoré Fragonard classées Trésor National

Dans le cadre de ce dépôt, M. Guillaume Faroult, conservateur en chef en charge des peintures françaises du XVIII e siècle et des peintures britanniques et américaines au musée du Louvre, donnera une conférence sur la peinture de Fragonard le vendredi 22 octobre 2021 à 18h30.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la Culture, est venue le 22 juillet 2021 au musée Fabre dévoiler le dépôt de deux tableaux de Jean Honoré Fragonard, classés Trésor National, par le musée du Louvre, représenté en cette occasion par M. Jean-Luc Martinez, son Président-Directeur. Ils ont été accueillis par M. Michaël Delafosse, président de Montpellier Méditerranée Métropole et maire de Montpellier et M. Michel Hilaire, directeur du musée Fabre.

Jean Honoré Fragonard est un des peintres les plus importants et les plus célèbres du XVIII e siècle. Artiste prolifique et virtuose, il met son pinceau au service de tous les genres picturaux : peintures mythologiques ou religieuses, scènes galantes et libertines ou encore paysages. Ces deux toiles totalement inédites et réapparues en mai 2017 gardent le souvenir du premier séjour de l’artiste en Italie et constituent un témoignage éclatant de son goût pour la nature et les jardins. Disparues depuis leur vente en 1786, elles constituent un ajout majeur à son corpus. Classées trésor national par le ministère de la Culture et acquises par le musée du Louvre avec l’aide de mécènes pour un montant de 5 millions d’euros, leur dépôt constitue un enrichissement décisif pour Montpellier et le musée Fabre, qui ne conservait jusqu’alors aucune peinture de Fragonard.

Elève le plus talentueux de François Boucher, l’artiste remporte le Grand Prix de peinture en 1753 et réside à l’Académie de France à Rome de 1756 à 1761. Durant ce séjour, il multiplie les études à la sanguine réalisées sur le motif et représentant divers sites de Rome et de ses environs. Les jardins laissés à l’abandon de la Villa d’Este à Tivoli, où il séjourne à l’été 1760, le marquent durablement par leur charme pittoresque qui imprègne les deux paysages déposés au musée Fabre.

On ignore dans quel contexte furent peintes ces deux compositions, sans doute au lendemain du séjour romain. De retour à Paris, Fragonard connait un grand succès sur la scène artistique, grâce à la présentation au Salon de son morceau de réception Corésus et Callirhoé . Dès lors, sa production se partage entre les commandes prestigieuses de l’administration royale et celles de collectionneurs privés, comme c’est certainement le cas pour nos tableaux. Dans deux clairières éclairées par une lumière contrastée, mystérieuse et poétique, Fragonard met en scène les amusements de petits groupes de paysans en costumes gracieux et fantaisistes. Sur une toile, on s’amuse sur une balançoire à bascule, sur l’autre, on s’adonne au jeu « de la palette », un dérivé du jeu « du furet », distraction à la fois initiatique et érotique : un des participants du groupe placé en cercle doit deviner le détenteur d’un objet caché. Pour y parvenir, le « furetage », c’est-à-dire la fouille, est autorisée. En cas de victoire, le vainqueur utilise la palette en bois pour administrer une tape au joueur démasqué. C’est ce que s’apprête à infliger les bergers en culotte bleu et veste jaune à la jeune fille qui tend la main, tout en se penchant sur l’épaule de sa voisine. La profusion des essences, buissons, pins parasols ou cyprès, sert de cadre à ces idylles, et se mêle aux formes étranges des architectures antiques et Renaissance, à demi ruinées, surmontées de la masse de nuages menaçants. Toute la poésie de Fragonard consiste à mettre en scène, dans cet univers bucolique, les jeux galants et facétieux des jeunes gens insouciants.

Les deux tableaux rejoignirent par la suite la collection de Pierre Jacques Onésyme Bergeret de Grancourt, receveur général des finances à Montauban, grand amateur d’art et collectionneur, associé libre de l’Académie royale de peinture et de sculpture. Fragonard et Bergeret semblent s’être côtoyés dès le retour de l’artiste en France. Par la suite, de 1773 à 1774, le peintre accompagna l’amateur lors de deux voyages à travers l’Europe, en Flandres et en Hollande, puis en Italie et jusqu’à Vienne, Prague et Dresde. Lors de la vente après-décès Bergeret, neuf peintures et de nombreux dessins de Fragonard furent présentés, les deux paysages constituant à n’en pas douter les pièces majeures de cet ensemble.

Ces tableaux sont un ajout majeur à la connaissance de l’art du paysage dans la carrière de Fragonard. Quelques petites compositions, exécutées durant ou au lendemain de son séjour à l’Académie de France à Rome, étaient jusqu’alors connues (Paris, musée du Louvre ; Londres, Wallace collection), sans commune mesure avec ces deux toiles. Par la suite, Fragonard s’intéressera au contraire au paysage hollandais du Siècle d’or, qu’il pastichera dans des compositions marquées par des lignes d’horizon très basses, dégageant de vastes ciels (Lyon, musée des Beaux-Arts). Enfin, vers 1775-1780, l’artiste exécute une suite de peintures décoratives de grand format pour l’hôtel Marchal de Saincy : cette suite de toiles est aujourd’hui partagée entre la Banque de France à Paris et la National Gallery of Art de Washington. Les deux toiles déposées au musée Fabre constituent le maillon manquant de cette carrière : elles reprennent le goût pour les jardins franciliens abandonnés dont Watteau au début du siècle, puis Natoire, Boucher et Oudry avaient pu exprimer la poésie dans des peintures et des dessins, mais que Fragonard transpose dans un univers italien. À l’opposé de la tradition classique héritée de Nicolas Poussin et de Claude Lorrain, que Joseph Vernet perpétuait au XVIII e siècle, Fragonard exprime au contraire un goût pour une nature à la fois monumentale et sauvage, libre et foisonnante, dont le caractère pittoresque, propre à la rêverie, fut exprimé à la même époque par son ami Hubert Robert.

Pour le musée Fabre, le dépôt de ces deux toiles est un évènement exceptionnel. Si la collection de peinture du XVIII e siècle est un des piliers du parcours des collections, la figure de Fragonard, très connue et appréciée du grand public, en restait jusqu’à présent absente. Le thème du voyage des artistes en Italie, et notamment des pensionnaires de l’Académie de France à Rome, est un véritable fil rouge du parcours des collections et permet, à travers des figures telles que Nicolas Poussin, Jacques Louis David, François-Xavier Fabre, Alexandre Cabanel et bien d’autres, d’observer au fil des siècles la fascination des peintres pour la péninsule. Le Jeu de la palette et La Bascule de Fragonard s’intègreront naturellement et remarquablement à ce parcours, en apportant une lecture singulière et poétique de la découverte par un jeune peintre du charme inoubliable des jardins italiens.

Jean Honoré Fragonard (Grasse, 1732 – Paris, 1806)
Le Jeu de la palette/La Bascule
vers 1761-1765
Huiles sur toile
75,2 x 99,7 cm/75 x 99,5 cm
D2021.1.1/D2021.1.2

Hist. : sans doute peints par l’artiste au lendemain de son séjour à l’Académie de France à Rome, vers 1761-1765 ; collection Pierre Jacques Onésyme Bergeret de Grancourt (1715-1785), receveur général des finances à Montauban, associé libre de l’Académie royale de peinture et de sculpture ; Paris, sa vente après-décès, 24-29 avril 1786, n° 17 (« Deux Paysages, enrichis de Ruines & ornés de Figures ; le milieu du premier est occupé par de jeunes Garçons & de jeunes Filles, qui se balancent sur une branche d'Arbre ; l'un d'eux joue du tambour de basque : on remarque sur le devant du second, une assemblée de Bergers & Bergeres jouant à la palette. Ces deux Tableaux, d'un faire libre, sont pleins d'harmonie & d'une brillante couleur. »), acquis par François Léandre Regnault-Delalande, expert de la vente, pour 400 livres ; Igé, château de Lonné (Orne), collection Nicolas d’Orglandes (1767-1857) député et pair de France, depuis le début du XIXe siècle, puis par descendance ; proposés à la vente par la famille, classés Trésors Nationaux par le ministère de la Culture le 3 mai 2017 ; acquis par le musée du Louvre avec l’aide du Fonds du patrimoine et le soutien de la société Webhelp et de mécènes anonymes, 2021 ; dépôt du musée du Louvre au musée Fabre, 2021.