Christophe Veyrier, Buste de Jean Deydé (1617-1687) conseiller à la cour des comptes de Montpellier

« Il faut y admirer les bustes en marbre d’un Joseph Deydé et de sa femme par le Puget : ils sont à droite dans la chapelle contre le mur des deux côtés de l’épitaphe, et aux pieds est une urne, aussi de Puget, très chargée d’ornements et entre autre d’un bas-relief que j’ai trouvé un peu pesant ; et le pied de l’urne a trop peu de bas relativement à la grosseur de l’urne qui est aplatie par les faces. Les bustes ont la vérité et la mollesse de la chair. » C’est ainsi que le médecin et collectionneur suisse François Tronchin (1704-1798) décrit en 1769 la chapelle Deydé de la cathédrale de Montpellier, du temps de sa splendeur. Ce grand ensemble funéraire commandé au XVII e siècle par Jean Deydé (1617-1687), conseiller à la Cour des Comptes, Aides et Finances de Montpellier, constituait à n’en pas douter le chef-d’œuvre de la cathédrale. Issu de cet ensemble funéraire démembré à la fin du XVIII e siècle et pendant la Révolution, le buste de Jean Deydé, exécuté par Christophe Veyrier, gendre, élève et collaborateur de Pierre Puget, a pu être acquis par le musée Fabre. Cet achat constitue une belle opportunité pour le musée d’acquérir à la fois un buste du Grand Siècle d’une grande beauté, mais également un témoignage historique d’une indiscutable valeur patrimoniale.

L’histoire de la chapelle débute en 1643, lorsque Jean Deydé en fait l’acquisition pour sa famille. En hommage à son père Joseph Deydé, décédé quelques années auparavant en 1637, elle est placée sous le vocable de saint Joseph. Un premier décor est mis en place par Jacques Jourdan, sculpteur local, tandis qu’un tableau, Le Songe de saint Joseph , toujours conservé dans la cathédrale, est exécuté par Nicolas Mignard en 1664. Entre 1664 et 1666, le pavement est recouvert de marbre. Mais c’est à partir de 1668 que la chapelle va devenir un véritable chef-d’œuvre, lorsque Jean Deydé fait appel à Pierre Puget, un des plus grands sculpteurs du XVII e siècle.

Pierre Puget (Marseille, 1620 – id., 1694), sculpteur, était également un remarquable architecte et maître d’œuvre. Ses liens avec l’Italie, où il voyagea et travailla à de nombreuses reprises, que ce soit à Carrare ou à Gênes, lui offraient d’excellents réseaux pour s’approvisionner en marbre. Ses activités sont nombreuses en Provence, où il exécute les décorations en bois sculpté des navires royaux, ainsi que des décors à Marseille, à Toulon et pour des églises de la région. L’hôpital de la Vieille-Charité, construit à Marseille de 1671 à 1704, constitue son chef-d’œuvre architectural. Il est enfin en relation avec Paris, et contribue aux chantiers du Louvre, de Vaux-le-Vicomte, et surtout de Versailles, pour lequel il exécute ses groupes Persée et Andromède , Milon de Crotone , et son spectaculaire bas-relief Alexandre et Diogène (tous trois au musée du Louvre).

On ignore comment Jean Deydé et Pierre Puget entrèrent en contact, mais il n’est pas étonnant qu’un personnage ambitieux et désireux d’inscrire sa famille dans l’éternité ait fait appel au plus grand sculpteur du Sud de la France. Puget commanda ainsi au marbrier génois Francesco Massetti l’ensemble du décor de la chapelle, suivant ses dessins. Au peintre Giovanni Battista Carlone, il commanda un grand retable de La Fuite en Égypte (Montpellier, Cathédrale Saint-Pierre). En 1679, l’unique fille de Deydé mourut à l’âge de cinq ans. Profondément affecté par cette perte, Deydé commanda à un sculpteur anonyme un buste de la petite fille (Montpellier, musée Fabre, acquis en 1997). Sans doute frappé par la douleur de cette perte et tourmenté par l’idée de la mort, Deydé décida de commander à Puget sa propre image et celle de sa femme, Catherine d’Ortholan (Montpellier, musée Fabre, acquis en 2000), taillées dans le marbre. Le gendre de Puget, Christophe Veyrier fut ainsi chargé de réaliser deux effigies des personnages, intégrées dans le mur de la chapelle. Entre elles, se trouvait une grande urne de marbre à la pense sculptée en bas-relief, figurant les quatre vertus (Paris, collection particulière). L’ensemble de ces sculptures devait constituer une scénographie particulièrement saisissante, et évoquer l’attachement des époux par-delà la mort.

Au XVIII e siècle, une description de Jérémie Jacques Oberlin mentionne la présence des bustes de Jean Deydé et de son épouse ainsi que du vase dans le cabinet de Jean-François Deydé, petits-fils de Jean Deydé. Le chantier de reconstruction du chœur de la cathédrale à cette époque explique sans doute le déplacement des bustes. A la Révolution, la chapelle est démantelée et de nombreux éléments du décor sont détruits ou vendus. Les biens de la famille Deydé sont saisis ; pourtant aucun inventaire ne mentionne nos bustes. Il est possible qu’ils aient été conservés par la fille de Jean-François Deydé, Anne Gabrielle Campan.

La chapelle de la cathédrale de Montpellier conserve encore aujourd’hui quelques rares éléments du décor en marbre de Massetti, ainsi que les deux tableaux de Mignard et Carlone. Le Metropolitan Museum de New York a reçu en don en 1966 un autre grand buste de Jean Deydé, réalisé pour l’Hôtel particulier de la famille, et accompagné d’un majestueux piédestal, actuellement prêté par le musée américain . Le musée Fabre a eu à deux reprises l’occasion d’acquérir des œuvres liées à cet ensemble précieux : d’une part le buste de la jeune Constance Deydé en 1997, et celui de Catherine d’Ortholan, en 2000. Par l’acquisition de ce troisième buste, le musée Fabre peut donc compléter un ensemble sculpté d’une très grande beauté et d’une forte valeur patrimoniale pour l’histoire de la ville. Les bustes des deux époux Deydé, séparés depuis l’entre-deux-guerres, reprennent ainsi leur dialogue à travers les siècles.

Pierre Stépanoff



En savoir plus

Alain Chevalier, “An Unknown Work by Pierre Puget: The Deydé Funerary Chapel in Montpellier Cathedral” in Metropolitan Museum Journal , n° 29, 1994.
article disponible en ligne

Alain Chevalier, dans Pierre Puget, peintre, sculpteur, architecte, 1620 -1694 , catalogue de l’exposition, Marseille, Centre de la Vieille Charité et Musée des beaux-arts, 28 octobre 1994 – 30 janvier 1995, n° 152 à 155, pp. 348 à 351.              

De Marbre blanc et de couleur, la chapelle Deydé de la cathédrale de Montpellier , Montpellier, musée Fabre, 16 novembre 2019 – 15 mars 2020, Gand, Snoeck, 2019, Alain Chevalier, Michel Hilaire, Pierre Stépanoff (dir.).

Ouvrages disponibles à la bibliothèque du musée Fabre.

Exposition De Marbre blanc et de couleur, la chapelle Deydé de la cathédrale de Montpellier , Montpellier, musée Fabre, 16 novembre 2019 – 15 mars 2020.

Christophe Veyrier (Trets, 1637 – Toulon, 1689)
Buste de Jean Deydé (1617-1687) conseiller à la cour des comptes de Montpellier
1684
Marbre
H. 50 ; L. 35 cm

Daté et identifié au revers : « IOANNES DEYDE 1684 »

2017.15.1

Hist. : Commandé par Jean Deydé, sans doute par l’intermédiaire de Pierre Puget pour la décoration de sa chapelle privée dans la cathédrale Saint-Pierre de Montpellier après 1679 ; Exécuté en 1684 par Christophe Veyrier, collaborateur de Pierre Puget, et installé dans la chapelle Deydé ; transféré entre 1769 et 1776 rue du Cannau, dans le cabinet de l’hôtel particulier de Jean François Deydé, petit-fils de Jean Deydé ; absent de l’inventaire et de la vente lors de la saisie des biens de la famille Deydé en janvier 1794 ; Marseille, marché de l’art avec le buste de Catherine d’Ortholan en 1929 ; La Pomme, près de Marseille, collection du docteur Jean Simon, dans sa bastide de la Grognarde ; par héritage, son gendre Henri Sarles (1922-2017) ; Paris, Hôtel Drouot, Leclere, sa vente après décès, 30 juin 2017, n° 63 ; préempté par l’Etat au bénéfice du musée Fabre ; achat de Montpellier Méditerranée Métropole pour le musée Fabre avec le soutien du Fonds du patrimoine et du Fonds régional d’acquisition des musées État / région Occitanie.