Octave Tassert est un important peintre du milieu du XIX e siècle, aujourd’hui encore oublié du grand public, mais qui connut une certaine renommée durant sa vie et suscita les commentaires enthousiastes de critiques aussi éminents que Charles Baudelaire ou Théophile Gautier. Ses tableaux de chevalet, de petit format, furent collectionnés par des cercles restreints d’amateurs, notamment Alexandre Dumas fils ou Alfred Bruyas. Tassaert expose à Paris, durant trente ans, des Salons de 1827 à 1857. Sa carrière débute par des sujets historiques, dans l’esprit de la peinture romantique, comme La Mort de Corrège (Salon de 1834) ou Les Funérailles de Dagobert (Salon de 1838), mais c’est peu à peu dans le petit format qu’il trouve sa manière propre. L’artiste s’illustre dans différents thèmes : mythologiques, anecdotiques, religieux, sociaux, alternant entre le registre sensuel, érotique ou au contraire plus pathétique et misérabiliste. Dans ce dernier genre, sa toile la plus célèbre est incontestablement Une famille malheureuse , dit aussi Le Suicide , qui fit grand bruit à sa présentation au Salon de 1849, fut acheté par l’Etat et est aujourd’hui présenté au musée d’Orsay. Le musée Fabre conserve l’esquisse préparatoire ainsi qu’une réplique de cet important tableau.
Le brio du pinceau de Tassaert, la douceur de ses figures, sa gamme chromatique souvent froide, alliés à une poésie rêveuse et amère à la fois, lui valut le surnom de Corrège ou de Prud’hon de la mansarde. Au regard de l’histoire de l’art, le peintre possède un imaginaire à la fois riche et ambigu, mêlant un esprit parfois libertin, à la manière de la peinture rocaille, un sentimentalisme caractéristique du romantisme, ainsi qu’une sensibilité aux thèmes sociaux de son temps, l’intégrant dans le mouvement réaliste initié par des peintres tels que Jeanron, Leleux, Antigna ou Bonvin. Tassaert est également sensible au renouveau des sujets religieux, mais sait toujours donner à ses tableaux le caractère intime de la scène de genre. Cette richesse se retrouve parfaitement dans cette Madeleine expirant .
Notre tableau, présenté au Salon de 1857, fit l’objet de multiples commentaires par les critiques, tels Maxime du Camp, Théophile Gautier ou Paul de Saint-Victor. Parfois sévère, les commentateurs n’en saisissent pas moins le grand intérêt de l’œuvre : son mélange de religiosité et de misérabilisme, la figure de la Madeleine évoquant celles des jeunes filles qui peuplent les sujets sociaux de Tassaert, ces « Mimi Gavroche » comme les appelle Théophile Silvestre. Gautier n’en souligne pas moins sa grâce douloureuse et pauvre, tandis que Paul de Saint-Victor loue l’exécution du tableau, son « audace » et sa « vigueur ». La teinte froide, qualifiée par Maxime du Camp de blafarde, renforce le caractère pathétique et tragique du tableau.
Peu à peu, dès les années 1850, le peintre se constitue une clientèle d’amateurs qui collectionne abondamment ses peintures, notamment Alexandre Dumas fils, qui possédait plusieurs dizaines de toiles de l’artiste, dont notre Madeleine . L’artiste est également fortement représenté dans les collections du musée Fabre, qui possède le fonds le plus important de ce peintre. Alfred Bruyas, collectionneur montpelliérain passionné par l’art de son temps, appréciait particulièrement la portée sociale de ses tableaux, illustrant les souffrances et la misère des plus humbles. Le Montpelliérain, très attaché au rôle émancipateur de l’art et convaincu de la portée messianique de sa collection, vit en Tassaert un artiste capable de soutenir ses visions, avant de lui préférer Gustave Courbet à partir de 1853. Les peintures collectionnées par Bruyas auprès de Tassaert sont surtout des sujets sociaux, illustrant l’amour désillusionné d’une jeune ouvrière pour un bourgeois ( L’Abandonnée ), le suicide d’une mère et de sa fille dans une misérable mansarde ( La Famille malheureuse ), ou le retour à la campagne d’une jeune fille tentée par la ville ( L’Enfant prodigue ). En 2006, le musée a acquis un tableau, L’Ange et l’enfant , illustrant le thème de l’ange gardien, très en vogue au XIX e siècle. Avec cette peinture, c’est un éclairage nouveau sur la carrière du peintre qui est proposé, mêlant religiosité, misérabilisme, érotisme et brio dans l’exécution.
Pierre Stépanoff