Henri Lehmann, Mariuccia

Né à Kiel en 1814, Henri Lehmann suit une première formation artistique en Allemagne, avant de gagner la France à 17 ans en 1831 pour poursuivre son apprentissage dans l’atelier d’Ingres. Dès 1835, le jeune artiste expose au Salon parisien. Appréciant les qualités de son élève, Ingres l’invite à le suivre en Italie lors de sa nomination au poste de Directeur de l’Académie de France à Rome. C’est chose faite en 1839, lorsque Lehmann arrive dans la Ville Éternelle. À bien des égards, par sa loyauté et son attachement au purisme néoclassique de son maître, il est un de ses élèves les plus doués. Il est en particulier l’auteur de la muse de la poésie lyrique sur le fameux Portrait de Luigi Cherubini d’Ingres (1842, Paris, Musée du Louvre). De retour à Paris en 1841, Lehmann reçoit des commandes prestigieuses pour des décors d’églises et de bâtiments publics parisiens.

C’est à Rome qu’Henri Lehmann peignit cette Mariuccia . La figure s’inspire d’une jeune italienne, Mariana Cenci, qui servait de modèle aux élèves et professeurs de l’Académie de France. Elle posa ainsi pour Navez, Ingres ou Schnetz, qui prit la tête de l’Académie l’année où Lehmann peignit sa propre version du modèle. Dès le début du XIX e siècle, avec Guillaume Bodinier ( La Demande en mariage , Angers, Musée des beaux-arts), Jean-Victor Schnetz ( Une Famille de Contadini surprise par un prompt débordement du Tibre , 1831, Rouen, musée des beaux-arts) ou François-Joseph Navez ( Femmes filant à Fondi , 1845, Munich, Neue Pinakothek), trois artistes dans le sillage de David, les scènes de la vie des paysans italiens sont élevées au statut de genre autonome. Elles permettaient aux artistes d’exprimer à la fois une grandeur digne de l’antique qu’ils percevaient dans le peuple de Rome, sentiment que l’on retrouve dans les pages de Stendhal ou de Chateaubriand, et dans le même temps de se mettre en quête de ce pittoresque, de cette couleur locale que le goût romantique exigeait des peintres.

A partir des années 1840, pour les Français établis à Rome, peindre la majesté pensive des moines romains, les tenues bigarrées des brigands italiens, les costumes colorés des jeunes femmes romaines devient comme un exercice obligé. Le fonds de peinture du XIX e siècle du musée Fabre est profondément marqué par cet univers artistique. Pour son ami Alfred Bruyas, Cabanel dans sa Chiaruccia et son Jeune moine romain (1848) mêle la beauté pittoresque du peuple de Rome à l’élégance linéaire et monumentale héritée de sa formation classique. La Sainte Catherine d’Alexandrie portée au tombeau de Lehmann (Montpellier, musée Fabre), datée de 1839 et inspirée d’une fresque de la Renaissance de Bernardino Luini (Milan, Pinacothèque de Brera), est également le témoin des recherches des élèves d’Ingres pour un renouvellement de la peinture religieuse dans un primitivisme où se mêlent références antiquisantes, religiosité médiévale et pureté de la peinture du Quattrocento.

L’acquisition par le musée Fabre de cette Mariuccia de Lehmann constitue un magnifique contrepoint à la Sainte Catherine du même artiste, tout en offrant un bel effet d’échos à la Chiaruccia de Cabanel. Elle enrichit le fonds de peinture d’artistes du XIX e siècle liés à l’Académie de France à Rome, qu’il s’agisse d’Ingres, de Jean-Dominique Papety, de Jules Didier ou de Léon Bénouville. Issue de la collection Bertin de Veaux, elle dialogue subtilement par sa provenance avec d’autres œuvres du parcours des collections, qu’il s’agisse du Portrait de Louis-François Bertin et de son épouse par Fabre ou de la grande Vue prise dans les Apennins sur le sommet du mont Lavernia peinte en 1836 par leur fils, François-Édouard Bertin.

Pierre Stépanoff



En savoir plus

Catalogue de l’exposition  Maesta di Roma da Napoleone all'unita d'Italia : d'Ingres à Degas, les artistes français à Rome , Rome, villa Médicis / Académie de France à Rome , 7 mars-29 juin 2003, Olivier Bonfait (dir.).

Ouvrage disponible à la bibliothèque du musée Fabre.

Henri Lehmann (Kiel, 1814 – Paris, 1882)
Mariuccia
1841
Huile sur toile
H. 96,4 ; L. 71 cm

Signé et daté en bas à droite : « Henri Lehmann. Rome 1841. »

2016.17.1

Hist. : Rome, peint par Henri Lehmann en 1841 ; Paris puis château de Villepreux, collection du général Bertin de Veaux (1799-1879) dès 1842 ; Paris, Salon de 1842, n° 1198 ; Paris, Salon de 1855, n° 3555 ; demeuré dans la famille Bertin de Veaux au château de Villepreux jusqu’en 2016 ; Paris, Hôtel Drouot, Lasseron, vente du château de Villepreux, 8 novembre 2016, n° 102 ; Préempté par l’État au bénéfice du musée Fabre ; acquis de cette vente par Montpellier Méditerranée Métropole pour le musée Fabre avec le soutien du Fonds régional d’acquisition des musées État / région Occitanie.