Eugène Devéria, Psyché conduite à l’Olympe par Mercure pour épouser l’Amour (esquisse)

Eugène Devéria est un des principaux peintres de la première génération romantique, aux côtés d’Eugène Delacroix, de Louis Boulanger, d’Ary Scheffer, de Xavier Sigalon ou de Charles Émile de Champmartin. Tous ces artistes s’illustrent particulièrement lors du mythique Salon de 1827, à l’occasion duquel Devéria présenta La Naissance d’Henri IV (Paris, musée du Louvre). Les succès de l’artiste, bientôt surnommé le « Véronèse français » du fait de l’audace de sa touche et de son coloris, se poursuivent tout au long de la décennie 1830, jusqu’à ce qu’il reçoive en 1838 une commande ambitieuse : le décor complet, à fresque, de l’église Notre-Dame-des-Doms en Avignon. Cette commande dans le Sud de la France est également l’occasion pour Devéria de s’intégrer dans les réseaux artistiques montpelliérains.

Devéria a sans doute été attiré à Montpellier du fait de ses accointances familiales : de récentes découvertes ont en effet souligné qu’une de ses cousines était mariée avec Pierre Cabanel, grand frère d’Alexandre qui n’a encore que 15 ans, dont il exécute un portrait au crayon en 1839, récemment acquis par le musée Fabre. Il reçoit la même année une commande de l’œuvre de la Miséricorde, société de charité montpelliéraine : un grand tableau, La Charité de saint Vincent de Paul (Montpellier, chapelle de la Miséricorde). Si l’artiste n’a peint qu’un seul tableau, il est fort probable que la commande initiale était de réaliser un cycle entier sur la vie de saint Vincent de Paul. L’année précédente, l’artiste avait également fait la connaissance de François Sabatier (1818-1892) qui lui commande son portrait . Ce riche amateur d’art et intellectuel de sensibilité fouriériste et saint-simonienne est issu d’une influente famille d’industriels du textile et de la mine. Cet étonnant personnage, à la tête d’une importante fortune, fréquente les poètes et les artistes à Paris, notamment Paul Chenavard, comme à Rome, en particulier les peintres Dominique Papety, Auguste Bouquet, le sculpteur Auguste Ottin ainsi que l’architecte Hector Marin Lefueul, auxquels il confie l’aménagement de sa résidence florentine, le Palazzo Renai, dans les années 1840. À la suite de la Révolution de 1848, Sabatier regagne Paris, et devient un défenseur précoce de l’art de Gustave Courbet, qu’il commente dans une recension du Salon de 1851. En 1857, il invite l’artiste à résider dans son domaine de la Tour de Farges, entre Nîmes et Montpellier.

Après l’exécution du portrait de François Sabatier en 1838, c’est son frère, Frédéric (1813-1864), qui sollicite l’artiste en 1839 pour travailler au décor du château d’Espeyran, propriété familiale achetée comme bien national sous la Révolution, située dans le département du Gard, sur l’actuelle commune de Saint-Gilles (le château accueille aujourd’hui le Centre national du microfilm et de la numérisation). Devéria peint pour le château quatre toiles illustrant l’histoire de Psyché, venant trouver leur place dans l’antichambre de Frédéric, ainsi que quatre dessus de porte figurant des sujets mythologiques ( L’enlèvement d’Europe  ; Mercure délivrant Io  ; Rivalité de Minerve et de Neptune pour la possession de l’Attique  ; Vertumne et Pomone ). Surtout, pour la chambre de Frédéric, Devéria exécute un grand plafond peint, Psyché conduite à l'Olympe par Mercure pour épouser l'Amour . Le sujet, l’histoire de Psyché, vient puiser dans la tradition italienne, en référence notamment aux décors de Raphaël à la Villa Farnésine à Rome, mais la composition, les coloris suaves et le traitement sensuel des figures rappellent surtout les plafonds plus aériens conçus au XVIII e siècle par François Le Moine, Jean Baptiste Marie Pierre ou Louis Jacques Durameau. Ce décor est un bel exemple de l’éclectisme d’Eugène Devéria, que Théophile Gautier sut bien résumer lors de la présentation du plafond au Salon de 1839 : « M. Eugène Deveria a fait un tableau-plafond dans le goût mythologique et rococo de l’autre siècle ; il a pour sujet : Psyché conduite à l’Olympe par Mercure pour épouser l’Amour . C’est quelque chose d’élégant, de svelte, d’aérien, dans le goût de Lemoine : de blanches figures montent dans la limpidité bleue de l’atmosphère avec une facilité d’ascension et un jet surprenant ; vous retrouvez là de délicieuses déesses, injustement proscrites, et qu’on est toujours bien aise de revoir : Vénus, Hébé, Minerve, Junon, c’est-à-dire l’éternelle beauté, l’éternelle jeunesse, l’éternelle fraîcheur, un paradis charmant, un Olympe, voulons-nous dire ; car malgré nous le christianisme nous gagne, et nous oublions de plus en plus nos beaux livres antiques, nos exemplaires grecs et romains ; tout cela est peint avec un pinceau plein d’aisance, de souplesse et d’enjouement ; vous ne voyez pas là de grands efforts pour atteindre le dessin et le beau style ; il n’y a aucune arrière-pensée dans cette composition ; c’est un plafond peint, voilà tout. Il est vrai que les maîtres ne procédaient guère autrement ; on leur disait : voilà quatre murs, couvrez cela, mais faites quelque chose qui soit agréable aux yeux et n’effarouche pas les petits enfants aux bras de leur nourrice, Léda, ou Danaé, ou Diane au bain, Europe enlevée ; il n’importe ; surtout tâchez d’avoir fini pour le mariage de notre fille aînée ou pour l’anniversaire de la naissance de notre fils. – M. Eugène Deveria est un artiste d’une nature toute italienne qui peint comme il marche ou comme il parle, et dans ce temps d’exagération, d’emphase, de prétentions exorbitantes, de systèmes exclusifs, c’est une chose très rare qu’un homme qui fait tout bonnement de la bonne peinture sans avoir l’ambition de changer la face de l’univers d’un coup de brosse, surtout quand cet homme a fait la naissance d’Henri IV : c’est-à-dire le plus beau tableau d’apparat, la plus riche palette que nous puissions opposer aux coloristes de Venise. »

Cette acquisition présente un grand intérêt pour les collections du musée, où Eugène Devéria est bien représenté. En effet, en plus du Portrait de François Sabatier, le musée Fabre conserve également une importante esquisse de La Naissance d’Henri IV et un bel ensemble de trois dessins offerts par Alfred Bruyas, grand collectionneur d’art du XIX e siècle, qui évoluait dans les mêmes cercles montpelliérains que François Sabatier. Comme on l’a vu, Devéria est également lié à la ville de Montpellier par l’exécution d’un grand tableau pour la chapelle de la Miséricorde. Cette acquisition est également l’occasion d’illustrer davantage dans les collections la famille Sabatier d’Espeyran, qui a largement contribué au fil des décennies à enrichir le musée Fabre. On doit en effet à François Sabatier la grande Sainte Catherine d’Alexandrie portée par les anges d’Henri Lehmann (1839), un riche ensemble de dessins de Dominique Papety, deux peintures de Gustave Courbet ( Le Pont d’Ambrussum  ; Vue de la Tour de Farges ) mais également le très précieux volet droit du retable du Maître de Dreux Budé, une des premières peintures manifestant la diffusion de l’art des primitifs flamands à Paris sous le roi Charles VII, ainsi qu’une coupe de céramique italienne du XV e siècle aux armes de Scaligeri. C’est également à cette famille que le musée Fabre doit le don de l’Hôtel Sabatier d’Espeyran, où sont présentées ses collections d’arts décoratifs, ainsi que, plus récemment, le tableau des Femmes à la fontaine de Dominique Papety (2010).

Pierre Stépanoff



En savoir plus

Le Château d’Espeyran, maison des illustres, Duo Monuments – Objets , DRAC Languedoc Roussillon, 2015.

Eugène Devéria (Paris, 1805 – Pau, 1865)
Psyché conduite à l’Olympe par Mercure pour épouser l’Amour (esquisse)
1839
Huile sur toile
H. 65,3 ; l. 50,3 cm

Hist. : Bordeaux, Galerie l’Horizon chimérique, 2020 ; acquis de cette galerie par l’association des Amis du musée Fabre , 2021 ; don des Amis du musée au musée Fabre, 2021.