Salvator Rosa, Paysage côtier avec des ruines et des navires

Le don par la Fondation d’entreprise du musée Fabre de cette grande composition de Salvator Rosa vient enrichir de manière heureuse la collection de peinture italienne du musée et plus particulièrement de toiles napolitaines, de même que son fonds de paysages particulièrement riche, du XVII e au XX e siècle. Salvator Rosa, par l’étendue de son imagination et des genres qu’il a abordés (peinture d’histoire, scènes de genre, paysages, marines, portraits), est un des artistes les plus féconds et en même temps les plus singuliers du XVII e siècle. Son imagination fantasque, que l’on a parfois qualifié de « romantique », est manifeste dans cette grande marine marquée par des contrastes lumineux renforçant son étrangeté, et par les formes tourmentées de ses ruines comme de ses navires et épaves échoués.

L’intérêt de Salvator Rosa pour les paysages côtiers aux topographies étranges et à l’atmosphère sombre et mystérieuse provient de sa formation et de ses échanges avec d’autres peintres napolitains de paysages, de vues urbaines et de marines, tels qu’Aniello Falcone (1607-1656) ou Domenico Gargiulio (1609-1675). Dans notre grande composition, sans doute inspirée d’éléments topographiques tirés des sites du golfe de Salerne ou de la baie de Naples, l’artiste reprend en effet de ces deux maîtres ce goût pour une gamme chromatique sombre, faisant contraster les bruns denses et les éclats argentés donnant un aspect fantomatique à certaines épaves. Les personnages, armateurs, contremaitres, ouvriers, apportent des touches de couleur plus vives, de bleu ou de rouge. On peut déceler l’influence plus lointaine du paysage maniériste de la fin du XVI e et du début du XVII e siècle tel qu’il s’illustre chez Paul Bril. En mobilisant le procédé consistant à creuser la profondeur de l’image en faisant se succéder les plans lumineux et les plans sombres, l’artiste renforce les contrastes et donne toute son expressivité à la composition. Ces différents aspects incitent à dater notre tableau des débuts de la carrière de Rosa.

Caterina Volpi date notre tableau entre 1635 et 1639, c’est-à-dire entre son premier voyage à Rome et la commande du roi d’Espagne Philippe IV d’un tableau pour le décor du Palais du Buen Retiro. En 1639, Salvator Rosa réalise cette grande marine pour le roi d’Espagne. Cette peinture, conservée au musée du Prado, plus aérée dans sa composition, constitue selon Caterina Volpi une borne chronologique postérieure. Sensible par la suite au langage majestueux des paysagistes romains, en particulier de Claude Lorrain et d’Herman van Swanevelt, l’art de Rosa ira peu à peu vers un certain classicisme, dans des compositions plus équilibrées et harmonieuses, marquées par une lumière dorée. Cette transformation est notable dans les deux grandes marines peintes pour les Médicis vers 1641, et conservées à la galerie Palatine du Palais Pitti.

Cette acquisition constitue un enrichissement considérable de la collection de peinture italienne du musée Fabre. Le fondateur du musée, François-Xavier Fabre, tenait Salvator Rosa en haute estime et l’influence des paysages romantiques et sauvages de ce peintre se devine aisément dans certaines compositions de Fabre. Lors de la fondation du musée de Montpellier en 1825, Fabre, donateur de plus de la moitié des tableaux italiens aujourd’hui conservés, offrit quatre peintures attribuées à Rosa. Ces tableaux sont de dimensions plus modestes , et certains ont été malheureusement usés par le temps . Cette acquisition est ainsi une belle occasion de présenter une œuvre considérable, par sa qualité et son ambition, d’un artiste admiré par le fondateur du musée François Xavier Fabre.

Le musée est d’autre part attaché à renforcer son fonds italien, et plus particulièrement napolitain. Cette Marine vient ainsi rejoindre la Sainte Marie l’Égyptienne de Ribera, donnée par Fabre, ainsi que le Martyre de sainte Agathe d’Andrea Vaccaro, acquis en 2013 et La Mort de saint Joseph de Bernardo Cavallino, acquis en 2015. Elle offrira également de beaux effets de dialogue avec les esquisses sombres et tourmentées de Luca Giordano sur l’histoire d’Hercule et conservées au musée, l’une déposée par le Louvre en 2016 , les deux autres acquises dans le même temps sur le marché de l’art à Madrid (voir ici et ici ).

Pierre Stépanoff



En savoir plus

Civiltà del Seicento a Napoli , catalogue d’exposition sous la direction de R. Causa, G. Galasso, Naples 1984, p. 423, n° 2.210, ill. (notice de Luigi Salerno).

Salvator Rosa (1615-1673) pittore famoso , Rome 2014, p. 198, n°40, ill., C. Volpi.

Peintures italiennes du musée Fabre, catalogue raisonné , Milan, Silvana Editoriale, 2020,n° 111 p. 212-215, B. Couilleaux.

Salvator Rosa (Naples, 1615 – Rome, 1673)
Paysage côtier avec des ruines et des navires
Vers 1637
Huile sur toile
H. 73,8 ; l. 163,5 cm
2019.16.1

Hist. : Rome, Galerie Gasparrini ; Paris, collection particulière ; Rome, collection particulière ; Vienne, vente Dorotheum, 30 avril 2019, n° 374, non vendu ; acquis après-vente par la Fondation d’entreprise du musée Fabre  ; don de la Fondation d’entreprise au musée Fabre, 2019.