François-Xavier Fabre, portraits du marquis Luigi Grimaldi della Pietra et de la marquise Fanny Grimaldi

Ces deux portraits de François-Xavier Fabre, exécutés en 1804, évoquent une histoire tragique. Fanny de Bürckenwald, Alsacienne, est mariée par le Premier Consul Napoléon Bonaparte à son officier d’ordonnance, Giovanni Battista Grimaldi, qui décède cependant huit mois plus tard en février 1803. Son jeune frère, Luigi Grimaldi, s’éprend de sa belle-sœur, et des fiançailles sont célébrées, mais c’est bientôt la jeune femme qui décède à son tour le 6 février 1804, avant que le mariage ne soit prononcé. C’est dans ce contexte tragique que Luigi Grimaldi sollicite François-Xavier Fabre pour exécuter son portrait et celui, posthume, de sa fiancée.

Installé à Florence depuis 1793, Fabre, ancien Prix de Rome, promis à une carrière dédiée à la grande peinture d’histoire dans les Salons parisiens, se convertit à l’art du portrait. Il devient rapidement l’artiste le plus en vue de l’élite florentine comme des voyageurs du Grand Tour de passage en Toscane. Formé à l’école de David et habitué à représenter ses personnages à mi-corps sur un fond neutre (voir notamment le Portrait de M. Bertin et de son épouse , Montpellier, musée Fabre), Fabre reprend ici le principe traditionnel des deux tableaux en pendant, mais avec la mise en scène de la figure dans le paysage. Fanny Grimaldi apparaît dans un costume idéal évoquant son décès, couverte d’une sorte de linceul rythmé par de multiples plis inspirés de la sculpture antique. Son visage, peu singularisé, rappelle qu’il s’agit d’un portrait posthume. Elle s’apprête à rejoindre un tombeau ouvert, celui de son premier époux (comme l’indiquent les inscriptions de l’estampe tirée d’après le tableau par Bettelini [Montpellier, Médiathèque centrale Emile-Zola]), entouré de saules pleureurs et de cyprès, arbres funéraires traditionnels depuis l’Antiquité gréco-romaine. Cependant, un petit Amour volant cherche à la retenir et à l’emmener vers la partie lumineuse du paysage, à gauche, suggérant la vie face à la mort.

Ce mouvement nous conduit naturellement vers son prétendant, Luigi Grimaldi, représenté dans le second tableau. L’instant de méditation du jeune homme a lieu après la descente fatale de Fanny dans le tombeau et l’échec de l’Amour à la retenir, ce qui installe une forte dynamique narrative entre les deux peintures. C’est en effet sur un tombeau ou un cénotaphe dédié à la jeune femme que médite Luigi Grimaldi, dans la pose traditionnelle de la mélancolie. Le cheval, la cravache et les bottes suggèrent que c’est au cours d’une course solitaire que Grimaldi est venu se recueillir seul auprès du tombeau, dédié « A LA VERTUEUSE / FANNY GRIMALDI » et décoré d’un bas-relief illustrant un oiseau de proie attaquant un papillon, symbole de l’âme arrachée à la vie.

C’est donc un véritable programme narratif, accompagné de nombreux symboles allégoriques, que Fabre agence dans ces deux tableaux, à la fois hommages à la femme décédée et consolations pour le marquis. Les références antiques sont nombreuses et attestent de cette représentation à la fois poignante et apaisée de la mort que promeut le néoclassicisme à cette époque. L’influence de Jacques Sablet et de Louis Gauffier sont décisives pour Fabre qui s’essaye depuis peu à la formule de la figure dans le paysage. En effet, à Rome, dès les années 1780, le peintre suisse Sablet avait convoqué la formule traditionnelle du portrait du Grand Tour , telle que l’avait notamment définie Pompeo Battoni au cœur du XVIII e siècle, mais l’avait transposé sur un mode sensible et délicat, en mettant en scène ses figures dans des paysages de petit format, particulièrement intimistes. L’Élégie romaine du musée des Beaux-Arts de Brest en constitue un exemple achevé, illustrant une méditation sur la mort, auprès d’un tombeau, sur le même mode funéraire que les deux tableaux de Fabre. L’artiste montpelliérain a également pu connaître les émouvants pendants représentant Christine Boyer et son époux Lucien Bonaparte , avec une reprise au second plan du premier portrait, évoquant le décès de son épouse (1801, Ajaccio, musée Fesch). Fabre, qui était en contact avec Lucien Bonaparte pour peindre son portrait comme pour lui vendre des toiles pour sa collection, a fort bien pu voir ces deux toiles. Les quatre tableaux, marqués par le même contexte de deuil, mêlent les références à l’antique en particulier le motif du tombeau, avec la méditation paisible sur la mort au creux de la nature. Sous l’influence de Jacques Sablet, mais aussi de son ami et émule Louis Gauffier, installé à Florence à ses côtés jusqu’à son décès précoce en 1801, Fabre s’essaye à partir des années 1800 à ce genre de mises en scène, notamment dans le Portrait d’Edgar Clarke (1802, Montpellier, musée Fabre) ou l’année suivante le Portrait de la marquise de Prié (collection particulière). Cette disposition nouvelle, faisant la part belle au paysage et au sentiment de la nature, est un des aspects les plus novateurs de l’art du portrait à l’orée du XIX e siècle.

Ces deux tableaux sont des œuvres insignes de la carrière de François-Xavier Fabre, sans doute inégalées par leur ambition narrative et allégorique. La connaissance précise du contexte de création de ces tableaux, particulièrement tragique, ne fait que rehausser leur intérêt en ce qu’il les inscrit dans le développement de la sensibilité préromantique et le goût pour le recueillement auprès de la nature. Leur forte singularité apporte un enrichissement décisif à l’illustration exemplaire de la carrière de Fabre que le musée souhaite offrir à ses visiteurs. Ils seront présentés dans la salle 27 du parcours des collections, aux côtés du Portrait de Louis François Bertin et de son épouse, permettant de révéler deux voies alternatives dans l’art du portrait et soulignant l’éclectisme de l’art de Fabre et la richesse du foyer artistique florentin à l’époque néoclassique.

Pierre Stépanoff



En savoir plus

Catalogue de l’exposition François-Xavier Fabre (1766-1837) de Florence à Montpellier , Montpellier, musée Fabre, 13 novembre 2007 – 2 juin 2008, Paris, Somogy, 2007, Laure Pellicer, Michel Hilaire (dir.).

Ouvrage disponible à la bibliothèque du musée Fabre

François-Xavier Fabre (Montpellier, 1766 - Montpellier, 1837)
Portraits du marquis Luigi Grimaldi della Pietra et de la marquise Fanny Grimaldi
1804
Huile sur toile
H. 80 ; l. 50 cm

Signés et datés en bas à droite : F.X.F. 1804

Portrait du marquis Luigi Grimaldi della Pietra :
Inscription au revers : Prince de Santa Cruce / sur la tombe de sa fiancée / Fanny marquise Gri…aldi / desta P…[ ?] / Bia…là / le 6 février 1804 à l’âge de 23 ans.

Portrait de la marquise Fanny Grimaldi :
Inscription au revers : Joanni. Baptistae. Grimaldo. Genuensis / Marchioni. A Petri / generis Nobilitate Conspicuo / Ingenio Praeclaro / Suàvitate Morum Supremum obiit / Pridie. Roma February an R.S. MDCCCIII / Fanny Buckenwald. Grimaldi / viro Optimo / Canta. Votum / Superstes / M. P., avec les armes des Grimaldi.

2021.6.1 et 2021.6.2

Hist. : Monaco, collection Don Luigi Grimaldi ; Saverne (?), collection Schoëll ; Monaco, vente anonyme Christie’s, 4 décembre 1993, n° 49 ; New York, galerie Feigen ; New York, vente Sotheby’s, 11 juin 2020, n° 125 ; acquis de cette vente par la Galerie Michel Descours, 2020 ; acquis de cette galerie par la Société Jean Larnaudie, 2021 ; don de la Société Jean Larnaudie et d’Antoine et Arthur d’Espous au musée Fabre, 2021.